Chaque jour est un dimanche : pourquoi tant d’avocats repoussent-ils le problème de la retraite?

Woman pondering

Écrit par Chris Goldie pour la Financière des avocates et avocats

Lorsque Steve Herman, avocat spécialisé en préjudices personnels basé à Vancouver, a atteint la cinquantaine, il s’est rendu compte que la retraite n’était plus une idée lointaine. Ce n’était pas une pensée agréable. M. Herman croit que la retraite anticipée de sa mère a déclenché le déclin de sa santé. « Elle a ensuite vécu 20 ans d’anxiété et de dépression. Je pense que c’est parce qu’elle n’avait plus de but dans la vie », explique-t-il.

Il a trouvé des conseils financiers et des conseils en matière de gestion de cabinet, mais rien sur la manière de « relever les défis liés à la fin de carrière, en particulier à la conclusion d’une carrière dans le secteur juridique ». Ses questions ponctuelles sur les plans de retraite de ses pairs suscitaient le silence.

Ayant cerné un besoin à combler, M. Herman a créé un séminaire sur la retraite pour les avocats en juin 2016. Trois personnes étaient présentes. Il a tenté l’expérience une fois de plus en 2018 et 5 personnes ont manifesté leur intérêt. Mais lorsqu’il s’est associé à la Courthouse Library Society of BC et a mis ce contenu en ligne en septembre 2019, 120 personnes ont trouvé une heure à y consacrer (en se connectant de manière anonyme).

M. Herman a donc suivi l’étape qui semblait être pour lui la suite la plus logique des choses. Il a fait un film.

M. Herman, 62 ans, a créé Retirement on Trial avec sa partenaire personnelle, Mme Evelyn Neaman, qui a géré des projets de réforme de l’accès à la justice internationale. Le documentaire est un montage fascinant d’entretiens avec huit avocats, ayant pris ou non leur retraite, trois anciens juges, un philosophe social et un neurochirurgien. Son lancement a eu lieu à Vancouver en septembre 2023 devant une salle remplie de 300 personnes.

Chaque jour est un dimanche

M. Herman et Mme Neaman sont sur une bonne piste. Les thèmes clés de leur film sont revenus à plusieurs reprises lors des entretiens réalisés dans le cadre de cet article.

J’ai parlé à sept avocats, tous âgés d’une soixantaine d’années. Ils se méfient de la retraite et l’abordent presque tous avec un humour noir (« Eh bien, c’est le dernier travail que vous avez avant de mourir »).

M. Les Mackoff, 68 ans, avocat plaidant de Vancouver et cofondateur de Mackoff Mohammed, se souvient avoir demandé à une personne retraitée de la magistrature comment se passait sa retraite. Voici sa réponse : « Eh bien, chaque jour est un dimanche ». « Cela m’a marqué, explique M. Mackoff. Je ne veux pas que ce soit dimanche tous les jours. Je veux avoir l’impression d’apprendre quelque chose au quotidien et me sentir plus compétent que la veille. Je ne pense pas que la retraite permet d’atteindre cet objectif. »

Mme Catherine Patterson, 65 ans, dirige une entreprise avec son mari à London, en Ontario, et rappelle l’importance de la curiosité intellectuelle. « Il y a deux ans, j’ai eu un dossier dans lequel, pendant deux mois, j’ai appris énormément de choses sur la façon dont le gaz naturel sort de la terre et entre dans les maisons. Et c’est un aspect qui me plaît beaucoup. Par contre, le quotidien de la gestion d’une entreprise ne me manquera pas du tout quand je prendrai ma retraite. »

La retraite, mais pas nécessairement au sens qui est associé au mot retraite

Mme Patterson et son mari connaissent la date précise de 2025 à laquelle ils « éteindront les lumières et fermeront la porte à clé », mais cette professionnelle admet qu’elle conservera un bureau à domicile : « Je souhaite travailler à distance à temps partiel sur la base d’un contrat, pour accomplir des tâches comme aider d’autres avocats et rédiger des plaidoiries. »

M. Paul McDonald, 66 ans, de St. John’s (Terre-Neuve), partage ce point de vue. Toutefois, son bureau se trouve chez Tupman & Bloom plutôt que chez lui. Après 39 ans de pratique fondée sur le litige, M. McDonald était prêt à prendre sa retraite (du moins, il pensait l’être), jusqu’à ce qu’un nouveau cabinet lui propose un poste à temps partiel, pour lequel il « avait certainement du temps » et qui l’a « agréablement surpris ».

M. Mackoff, quant à lui, est catégorique : « Je ne prendrai pas ma retraite de sitôt. J’en ai discuté avec le personnel de mon bureau. J’ai aussi abordé la manière dont je vais travailler avec ma femme, et la retraite ne fait pas partie de l’équation ».

Le film de M. Herman et de Mme Neaman explore également cette réticence à tout laisser derrière soi. C’est un thème qui me touche, car mon père, aujourd’hui décédé, n’a complètement pris sa retraite qu’au début de sa 8e décennie. Son beau-frère a quitté la magistrature à 75 ans et s’est joint à un cabinet d’arbitrage. Le fait de visionner « Retirement on Trial » me pousse à me demander si ces personnes ignoraient simplement comment s’arrêter.

« Ces gens ne savaient pas qui ils étaient s’ils ne se levaient pas pour aller travailler tous les jours et se définissaient en fonction de leur travail. Leur vie se résumait… à la pratique du droit. »

Qu'en est-il du genre?

Les avocats ont tendance à prendre leur retraite plus tard que le reste de la main œuvre, et les données suggèrent que les avocats de sexe masculin sont particulièrement réticents à mettre un terme à leur carrière.

  • En Colombie-Britannique, 17 % des avocats ont au moins 65 ans, contre 5 % des avocates1.
  • En Ontario, ce rapport est plutôt de 16 % contre 4 %2.
  • Au Québec, l’âge moyen de la retraite est de 67,7 ans pour les avocats et de 62,1 ans pour les avocates3.

Mme Celia Rhea, 63 ans, associée des fusions et acquisitions (FA) chez Goodmans, à Toronto, émet deux remarques sur les données montrant que les femmes prennent leur retraite plus tôt : « Le statut et l’admiration qui vont de pair avec le fait d’être des avocats très performants sont beaucoup plus importants pour les hommes que pour les femmes. Il n’est donc pas aussi difficile pour nous de partir, nous ne nous y investissons pas autant dans notre carrière. Les femmes ont également tendance à avoir d’autres centres d’intérêt qu’elles peuvent développer à la retraite ».

Mme Anita Ghatak, avocate de la Couronne en Colombie-Britannique à la retraite, partage le même point de vue dans Retirement on Trial. « En observant les avocats avec lesquels j’ai travaillé, en particulier les hommes, je pense que ces gens ne savaient pas qui ils étaient s’ils ne se levaient pas pour aller travailler tous les jours et être définis par leur métier. Le principe d’organisation de leur vie et l’élément alimentant leur estime d’eux-mêmes était la pratique du droit. »

M. McDonald est d’accord : « D’après mon expérience, il y a probablement beaucoup plus d’hommes que de femmes qui n’arrivent pas à imaginer une vie après le droit. Et ils en arrivent à un point où cela fait partie intégrante de leur identité ».

La fusion des identités personnelle et professionnelle n’est pas l’apanage des avocats (pensons notamment aux médecins), mais d’autres aspects concernent les deux genres.

Mme Patterson et d’autres personnes expliquent que les avocats sont des spécialistes de la résolution de problèmes. « Les avocats sont motivés par le fait que s’ils veulent réussir à résoudre des problèmes, ils doivent persévérer. Cela me manquera certainement, c’est ce que j’aime dans le droit. » Mme Rhea rit en se souvenant d’une de ses clientes qu’elle a conseillée : « Cette personne m’a dit qu’il s’agissait d’un excellent conseil en me remerciant. Puis, elle l’a suivi. Cela n’arrive pas dans ma vie privée! »

L’argent est bien entendu important.

Stéréotypes mis à part, peu d’avocats gagnent des revenus équivalents à ceux d’un grand cabinet. Les régimes de retraite sont rares dans les cabinets privés. Le report de la retraite peut donc s’avérer nécessaire. Voici quelques faits :

  • Au Québec, 58 % des avocats gagnent moins de 110 000 $ par année3.
  • En Ontario, 24 % des hommes sont des praticiens autonomes, contre 14 % des femmes2.
  • Parmi ces hommes, 48,5 % ont au moins 65 ans2.

En outre, le pourcentage d’avocates de l’Ontario travaillant au sein du gouvernement (dans des fonctions qui offrent généralement une pension) est supérieur de 60 % à celui de leurs homologues masculins2.

Résoudre le dilemme.

Quelle que soit la raison, il y a des risques à pratiquer trop longtemps. Dans Retirement on Trial, l’avocat de la défense Marvin Stern parle franchement du problème : « J’ai vu beaucoup de gens aller jusqu’au bout et on peut constater qu’ils ne font que recoller les morceaux. » Mme Su Forbes, cheffe de l’exploitation du Lawyers Indemnity Fund de la Law Society of British Columbia, déclare : « Le conseil que je donnerais à tout avocat, qu’il soit débutant ou plus expérimenté, est de s’assurer d’être en mesure de fournir un service efficace et de qualité. Chaque client ne mérite rien de moins. Si vous ne pouvez pas vraiment y arriver, vous ne devriez pas exercer votre profession. »

Le défi peut relever de la perspective du « tout ou rien ». Face à cette question, certains continueront à préférer le lundi à un autre dimanche. Cependant, de nombreuses entreprises à l’échelle nationale ont désormais fixé un âge de retraite obligatoire pour se retirer du partenariat. Les postes d’avocat comme celui de M. McDonald constituent une option de transition. Ces rôles sont souvent occupés par des personnes semi-retraitées (y compris d’anciens associés) dont l’expertise est reconnue et qui peuvent attirer des clients et aider les jeunes avocats à gérer leur charge de travail. Il s’agit de mentorat, en d’autres termes.

M. Herman pense que les cabinets devraient faire plus de place au mentorat, mais la plupart d’entre eux évitent cette option pour des raisons entièrement commerciales. La personne peut-elle générer de l’argent? Pour quelle raison, et quelle somme? Et pourtant, quelle est la valeur ajoutée d’un avocat qui a plus de 40 ans d’expérience?

Le point de vue de Mme Rhea sur sa retraite obligatoire tient compte de la nouvelle génération. « Je travaille beaucoup avec certaines personnes, j’ai essayé de les former et de les parrainer, et je veux qu’elles aient une belle carrière lorsque je prendrai ma retraite. C’est vraiment mon point de vue. Je pense que votre pratique appartient à l’entreprise, pas à vous, et que vous devez vous assurer que votre pratique et vos connaissances sont transmises après votre départ. »

M. Richard Lindsay, qui s’est joint à une entreprise de médiation de Vancouver en 2021 après une carrière de 40 ans dans le secteur du droit des assurances, livre ses dernières réflexions. Dans le film de M. Herman, M. Lindsay mentionne ceci : « Les avocats sont des spécialistes de la résolution de problèmes. La retraite est un problème. Alors, il faut commencer à penser à le résoudre. »

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Chris Goldie est chroniqueur et rédacteur financier.

Sources : 1. Law Society of British Columbia, 2022 Annual Report. 2. Barreau de l’Ontario, Rapport annuel 2022. 3. Barreau du Québec, 2022, La profession en chiffres.