Génération argent de poche

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Illustration par Kendra Yee

Trouver des exemples de la présence locale de la banque parentale n’est peut-être pas aussi simple qu’une recherche rapide du « guichet automatique bancaire près de chez moi », mais vous savez probablement quand vous avez affaire à elle. On se souvient de cet ami qui n’a pas eu à travailler pendant l’été précédant son entrée à l’école de droit. Ce couple qui travaille dans le domaine de l’aide juridique pour une association à but non lucratif vient pourtant d’acheter une maison de trois chambres à coucher...

Statistiquement parlant, c’est probablement votre cas aussi. Selon un récent sondage mené par BMO, 81 % des parents apportent aujourd’hui une aide financière à leurs enfants adultes, contre seulement 40 % des parents qui ont déclaré avoir reçu un soutien financier de leurs parents lorsqu’ils étaient jeunes adultes.

La banque parentale possède de nombreuses succursales, offrant une variété de services tels que les paiements de factures de téléphone portable, de billets d’avion pour les vacances, de loyers et même les paiements de prêts hypothécaires. « D’ici à 2026, écrit Katrina Onstad pour le magazine Maclean's, on estime qu’un milliard de dollars sera transféré des baby-boomers canadiens à leurs héritiers, pour la plupart des milléniaux. »2

Une fois de plus, on retrouve le stéréotype classique des enfants adultes gâtés et privilégiés qui dépensent l’argent qu’ils n’ont pas en brunchs ou en cafés latte. C’est une image puissante vers laquelle diriger notre frustration, car il y a beaucoup de raisons d’en être frustré. 

La plupart d’entre nous ont été élevés dans l’idée que bâtir une carrière épanouie, fonder une famille et posséder une maison étaient des étapes fiables pour les Canadiens prêts à travailler pour les atteindre. Et même si peu de gens affirment vivre dans une société complètement égalitaire, la plupart d’entre nous se sont plus ou moins engagés à au moins prétendre que nous vivons dans ce type de méritocratie. Cependant, ce que l’on appelle le « grand transfert de richesse » des héritages massifs pour certains, fera du Canada un endroit où, selon les termes de Mme Onstad, « le succès d’une personne dans ce pays est déterminé non pas par son travail acharné ou son éducation, mais par la richesse de ses parents. » 

Prêt hypothécaire par alliance

Le logement est l’un des domaines où les données sont les plus précises quant à l’influence de la banque parentale sur le marché. Tout d’abord, parlons statistiques : selon un récent sondage de la Banque CIBC, 31 % des acheteurs d’une première habitation au Canada ont reçu une aide financière de leurs parents ou d’un membre de leur famille, le don moyen s’élevant à 115 000 $.3 Les répercussions de cette tendance sur le marché sont considérables, faisant grimper des prix déjà gonflés et limitant encore le nombre d’acheteurs potentiels, ce qui explique en partie que 35 % des enfants adultes vivent encore chez leurs parents, en partie à cause de l’augmentation de ces coûts.4

C’est plutôt simple, non? Pour devenir propriétaire d’une maison au Canada, il suffit d’être né dans une famille riche et généreuse. 

Malheureusement, ce constat est loin de dresser un portrait complet. Les experts préviennent que même lorsque les parents ont les moyens et la volonté d’offrir ce type de soutien à leurs enfants, les choses peuvent rapidement se gâter.  Que représentent 100 000 $ entre membres d’une même famille? Eh bien, il s’avère que c’est beaucoup d’argent.

Il est essentiel d’établir des attentes précises quant à la nature de l’argent (don ou prêt) et aux éventuels plans de remboursement. Il y a aussi la question quelque peu embarrassante, mais toujours nécessaire de savoir ce qu’il adviendra des profits réalisés sur la maison si elle est vendue, ou, si un parent fait don d’un acompte à un enfant et à son conjoint, ce qu’il adviendra de la propriété si le couple se sépare. 

Au départ, les parents doivent également se demander s’ils ont eux-mêmes les moyens d’offrir ce type de soutien. Un récent sondage du Groupe Banque TD révèle que si 57 % des parents canadiens s’attendent à soutenir financièrement leurs enfants adultes, 61 % d’entre eux s’interrogent sur leur capacité à le faire.5 « Dans certains cas, décrit Susan Doran pour le Real Estate Magazine, les parents agissent sans filet, puisant dans leur épargne-retraite ou dans les fonds propres de leur maison, utilisant une hypothèque de deuxième rang ou une marge de crédit hypothécaire pour aider leurs enfants et mettant ainsi potentiellement leur retraite en péril. »6

S’occuper des affaires familiales 

Les questions relatives aux privilèges liés à la famille sont particulièrement pertinentes pour la communauté juridique. Tout d’abord en raison de l’argent qu’il faut débourser pour entrer dans la profession. Ceux qui contractent de lourdes dettes d’études sont plus susceptibles d’obtenir leur diplôme sous la pression d’exercer une profession dans des domaines plus lucratifs, en acceptant des emplois dans de grands cabinets situés dans des centres urbains. Leurs homologues qui disposent de l’argent de la famille ont, quant à eux, le privilège de suivre leur passion dans des domaines moins lucratifs ou d’exercer une profession dans des communautés plus petites. Cette dynamique, en fin de compte, compromet l’accès à la justice dans tout le Canada. 
 

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Mais lorsque nous parlons de privilège générationnel dans un contexte professionnel, il est essentiel de comprendre que tout n’est pas qu’une question d’argent. C’est aussi une question de mentorat.

Des données récentes indiquent que « les enfants d’avocats ont 17 fois plus de chances de devenir avocats que les enfants dont les parents ont exercé un autre métier. »7 Sans surprise, les avocats de la deuxième génération ont des taux d’emploi plus élevés, ont plus de chances de travailler au sein d’un cabinet privé et d’obtenir un stage prestigieux par rapport à leurs camarades de faculté de droit qui sont des étudiants de la première génération.8

Attendez, vous vous demandez peut-être si c’est vraiment si important que cela? Après tout, de nombreuses entreprises fonctionnent de cette manière, de Hollywood aux services financiers. Si vous avez des doutes sur l’ancienneté des entreprises familiales, il suffit de penser à l’origine des noms de famille tels que Boucher, Boulanger et Charpentier. Non, l’idée que la profession de nos parents nous définit n’est pas nouvelle. Elle n’est pas non plus intrinsèquement néfaste. Les professionnels de la deuxième génération peuvent être un atout au sein de n’importe quel secteur, car les enfants s’appuient sur l’héritage de leurs parents et apprennent de leurs erreurs. Les enfants qui ont grandi aux premières loges d’une profession ont accès aux types de connaissances qu’il est difficile d’apprendre dans un manuel ou lors d’un cours. Même si un parent n’influence pas son enfant de manière consciente, ce dernier assimile des éléments tels que la gestion de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, les conflits internes au bureau et la communication avec la clientèle. Ces leçons sont inestimables et il convient de réfléchir à la manière dont elles pourraient être partagées plus largement au sein de la profession, afin qu’elles ne soient pas seulement utiles à ceux qui sont nés avec une longueur d’avance. 

Lire entre les CV

Dans son essai intitulé « Diversity: More than Ticking Boxes », Andreina Varela-Taylor raconte la « myriade de défis et d’obstacles » qu’elle a rencontrés en tant qu’immigrante au sein de la profession juridique au Canada.9 « Malgré l’attention accrue portée à la sous-représentation et un appel croissant à la diversité, écrit-elle, la profession continue de compter un petit nombre d’étudiants en droit, de collaborateurs, de juristes et d’associés issus de milieux diversifiés. »

Si les cabinets d’aujourd’hui affirment valoriser la diversité, ils sont moins enthousiastes à l’idée de savoir à quoi peut ressembler un parcours dit « diversifié » sur le CV d’un candidat. Par exemple, les étudiants qui n’ont pas les moyens de couvrir leurs frais de scolarité ou qui n’osent pas s’endetter peuvent travailler à temps partiel pendant leurs études, ce qui se traduit par des notes inférieures à celles de leurs camarades de classe qui ont pu se consacrer à temps plein à leurs études. De même, un nouveau candidat peut se vanter sur son CV d’avoir effectué un stage prestigieux, mais il est moins probable qu’il mentionne l’ami de la famille qui l’a aidé à obtenir cette place. Cela ne veut pas dire que tous les privilèges annulent les compétences, mais cela montre comment les CV valorisent certains types d’expériences par rapport à d’autres. 

De même, personne ne reproche aux parents de vouloir faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aider leur enfant à réussir dans la vie. Le problème réside dans le fait que ces avantages faussent encore plus un système déjà déséquilibré au profit de ceux qui sont plus susceptibles d’être issus d’un milieu aisé. 

Mme Varela-Taylor préconise que les cabinets jugent les candidats de manière plus globale, en tenant compte des atouts que des avocats d’horizons différents peuvent apporter au cabinet. Pensez, par exemple, aux prouesses linguistiques et intellectuelles nécessaires pour faire des études de droit dans votre deuxième (ou troisième) langue, ou à la détermination d’un étudiant qui étudie pour le barreau pendant sa pause en tant que barista ou chauffeur-livreur. 

Parlons d’argent, chéri

Si vous recevez un soutien quelconque de la part de vos parents, il est utile d’en parler ouvertement et honnêtement avec votre groupe de pairs. Oui, cela peut être gênant et provoquer quelques regards de travers, mais cela permet de fixer des attentes réalistes pour ceux qui ne bénéficient pas de la même aide. 

Au cours de ces conversations, il est également important de ne pas perdre de vue la situation dans son ensemble. En effet, vous pouvez faire toutes les blagues que vous souhaitez sur les brunchs, mais si 81 % des jeunes ne peuvent pas s’en sortir sans l’aide financière de leurs parents, qu’est-ce que cela dit sur notre économie? Après tout, certains d’entre nous sont peut-être assez âgés pour se souvenir d’une époque où gagner un salaire décent et être propriétaire de son logement étaient des acquis pour les travailleurs canadiens, en particulier ceux qui avaient investi dans un diplôme professionnel tel que le droit, et non dans des études de luxe pour les enfants adultes soi-disant gâtés. 

C’est là qu’intervient un changement plus large, complexe et qui prend du temps. Il s’agit notamment de plaider en faveur de la réforme des frais de scolarité et d’appeler à une plus grande diversité au sein de la profession. 

Il existe également des programmes gouvernementaux tels que le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété, qui aide les futurs acheteurs d’une première habitation à économiser pour le versement d’un acompte.

Il convient également de rappeler que l’argent et le symbolique Rolodex ne sont pas les seuls biens que nous héritons de nos parents. Ils nous ont beaucoup apporté, tout comme les autres aînés qui ont joué un rôle déterminant dans notre vie. Si les discussions sur les privilèges financiers sont importantes, nous ne devons pas perdre de vue les éléments non monétaires dont nous avons hérité : le courage, la débrouillardise et un sens de l’humour mordant. Ce sont des qualités dont la valeur ne peut être réduite à une valeur monétaire. Alors, pourquoi ne pas appeler papa et maman de temps en temps, juste pour leur dire bonjour?

Et tant qu’à y être, pourquoi ne pas nous appeler aussi?

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Sources:
1. BMO Wealth Institute, « The Bank of Mom and Dad – a source of comfort for everyone », décembre 2015
2. Maclean’s, « The Jackpot Generation », septembre 2024
3. MoneySense, « 6 things to consider before borrowing from the Bank of Mom and Dad for your first home », juillet 2024
4. CBC News, « Why pay double for everything? Meet the adults who live with their parents », octobre 2023
5. TD Stories, « Nearly 3 in 5 Canadian parents expect to financially support their children after they become adults, but most aren’t confident in their ability to do so », octobre 2024
6. Real Estate Magazine, « The bank of mom and dad: Talking extremes to secure children’s homeownership dreams in steep markets », mars 2024
7. Legal Cheek, « Children of lawyers 17 TIMES more likely to become lawyers themselves », mars 2019
8. Above the Law, « First-Generation Lawyers Faring So Much Worse in Employment Outcomes Should Be an Outrage », octobre 2021
9. CBA National Magazine, « Diversity: More than ticking boxes », octobre 2020